Semiocast — La montée de la popularité de Marine Le Pen — Analyse croisée
Les différentes vagues des sondages de l’Ifop réalisées de décembre 2010 à mars 2011 ont montré une progression de Marine Le Pen, en termes de popularité comme d’intentions de vote. Cette montée s’observe également, d’un point de vue quantitatif, sur Twitter : le volume de messages qui parlent de Marine Le Pen ne cesse de croître, avec des pics et un volume de fond de plus en plus importants.
Une des approches pour expliquer cette popularité est d’étudier, qualitativement, le discours des sympathisants de Marine Le Pen. Semiocast a réalisé une analyse qualitative des messages positifs à propos de Marine Le Pen publiés sur Twitter au cours des 4 derniers mois, et ces messages peuvent être comparés au discours positif recueilli par l’Ifop avec les instruments classiques de mesure et de compréhension de l’opinion. Si les deux outils sont de nature très différente, ils sont complémentaires. Ils ciblent des profils socio-démographiques distincts : les personnes exprimant une bonne opinion à l’égard de Marine Le Pen dans le cadre de réunions de groupe et / ou d’entretiens individuels, issus de l’électorat de la droite républicaine ou de l’extrême droite, présentent des profils beaucoup plus traditionnels que ceux qui utilisent Twitter. De plus, l’expression spontanée diffère par sa finalité : dans un groupe, l’individu recruté pour représenter un fragment de l’état de l’opinion, s’exprime face aux autres membres du groupe et en interaction avec un animateur ; sur Twitter, l’individu se donne à voir et se positionne davantage dans une double logique d’expertise et de recherche de leadership.
Messages Twitter positifs sur Marine Le Pen
Une stratégie médiatique saluée. Sur Twitter, près de 3% des messages parlant de Marine Le Pen sont positifs, qu’il s’agisse de messages de soutien, d’adhésion à ses idées, ou constatant ses qualités. Cela pourrait sembler peu, mais c’est un bon score pour une personnalité politique : Nicolas Sarkozy plafonne en-deçà de 1%. Et on aurait tort de n’y voir que des messages de sympathisants FN. En effet, les relations sur Twitter sont davantage des relations d’écoute que d’amitié, et la compétition pour l’audience favorise chez une minorité très visible d’utilisateurs de ce réseau des prises de position tranchées ou humoristiques, et des marques d’expertise. Chez cette population, qui produit ses propres analyses politiques et médiatiques en 140 caractères (NDLA – taille maximale d’un message sur Twitter), par nécessité percutantes, la stratégie médiatique de Marine Le Pen est louée sans nécessairement aller de pair avec une sympathie FN : « Elle a raison : plus c’est gros, plus on fait de l’audience ». Parce qu’ils sont indépendants des idées et du programme de Marine Le Pen, ces commentaires actent sa banalisation dans l’espace politique.
L’« arme de destruction massive » du FN. Il est devenu courant sur Twitter de commenter en direct les apparitions télévisées ou radiophoniques des personnalités politiques, et ainsi de participer à un débat augmenté. Marine Le Pen ne fait pas exception. Les différents débats, notamment avec Rachida Dati et Jean-Luc Mélenchon, ont été l’occasion de la dépeindre comme « victorieuse » ou comme « une tueuse ». La présidente du Front National est associée à une puissance destructrice : comparée à « une arme de destruction massive », à un « rouleau compresseur », elle « explose Arlette Chabot ». Au-delà de la crainte, on décèle chez certains une forme de fascination pour un personnage terrible.
Tribun comme son père, la féminité en plus. Le charisme qui est prêté à Marine Le Pen tient également à sa maîtrise du langage. C’est d’ailleurs une occasion de souligner l’héritage de son père, présenté comme « le meilleur dans les débats ». Notons que ces deux principaux attributs – la puissance et la rhétorique – sont également prêtés à Nicolas Sarkozy dans les commentaires positifs de ses interventions télévisées. En revanche, dans le cas de Marine Le Pen, l’apparence physique semble participer à son charisme : sur le ton de l’aveu, des louanges portent sur sa coiffure, sa tenue, ou son maquillage. Ainsi peut-on lire : « il faut avouer que Marine Le Pen est super bien lookée ». Déclaration favorisée par la médiation cybernétique (l’entendrait-on pareillement au comptoir d’un café ?), certains vont plus loin et en font un personnage désirable : « une fois j’ai fantasmé sur Marine Le Pen ».
« Marine a raison… ». Au plan des idées, on trouve encore des messages d’adhésion, en particulier lors des prises de position publiques de Marine Le Pen. Ceux-ci marquent souvent un accord sans précision : « elle a raison », le « fond est vrai ». Les rares sujets explicites d’adhésion – les prières dans les rues, l’immigration et la peine de mort – sont ceux qui, aujourd’hui, font l’objet d’une large médiatisation. Plus spécifiques, d’autres points du discours du FN, telle la sortie de l’euro, sont quasiment absents des messages d’adhésion sur Twitter.
Une candidate présidentiable. C’est ainsi qu’apparaît Marine Le Pen pour toute une série de sympathisants ; une nouveauté pour le FN. Les résultats de sondages en hausse sont accueillis avec enthousiasme : c’est une « bonne nouvelle ». Aujourd’hui, pour les sympathisants FN sur Twitter il est permis d’y croire : « elle passera au 2ème tour », « rendez-vous en avril 2012 ».
Comparaison avec les instruments classiques de compréhension de l’opinion
Les registres du discours sur Marine Le Pen, recueilli à l’aide des instruments qualitatifs traditionnels, diffèrent très fortement de la part des individus exprimant une bonne opinion à son égard, notamment parmi les électeurs de la droite républicaine. Par ordre de récurrence, figurent principalement 3 dimensions, assez peu présentes à travers les messages issus de Twitter.
L’équation personnelle de Marine Le Pen. Celle-ci s’inscrit dans la distinction avec le personnel politique traditionnel en raison de sa jeunesse et de son dynamisme mais aussi des qualités, rarement attribuées dans le champ politique, qu’on lui confère au premier rang desquelles le courage et la simplicité. En comparaison avec les messages recueillis sur Twitter, les personnes exprimant une bonne opinion de Marine Le Pen saluent moins son charisme, comme vu précédemment, qu’une certaine proximité identificatoire, notamment fondée sur son parler-vrai et la clarté de son propos. De la même manière, son statut de femme, son côté « mère de famille » renforcent ce pouvoir de projection quand la féminité de Marine Le Pen est mobilisée de façon très différente sur Twitter. Relevons enfin la quasi absence de lien exprimé au sein du grand public entre les capacités oratoires de Marine Le Pen et sa stratégie médiatique alors que cet aspect s’avère majeur sur Twitter.
Les idées défendues par la Présidente du FN. Très peu évoquées sur Twitter, les prises de position de Marine Le Pen interviennent fortement dans les logiques d’adhésion à sa personne. Elle est en effet reconnue par tous comme une femme de convictions – qu’on y adhère ou non. A cet égard, la dimension transgressive de ses discours bien que reconnue, s’avère en partie minorée particulièrement par des proches de la droite républicaine. L’un des premiers attraits de Marine Le Pen réside dans ce cadre, dans sa capacité à aborder et à parler juste sur les vrais sujets : immigration, identité nationale,… Et cet atout est jugé d’autant plus crédible que Marine Le Pen apparaît savoir de « quoi elle parle » notamment en raison de son statut d’élu local qui lui donne une prise sur les réalités des Français ce qui légitime sa parole.
La capacité à développer une offre programmatique différenciante, notamment de l’UMP et du Président. Dans les discours, les prises de position et les idées de Marine Le Pen sont jugées comme tranchant avec la mollesse ambiante des politiques sur des thématiques comme l’immigration ou encore l’Islam sur lesquelles Nicolas Sarkozy est perçu comme ne se montrant pas assez ferme et l’opposition de gauche inexistante. Au-delà de ces thématiques sociétales, il est en outre frappant de constater que Marine Le Pen concurrence Nicolas Sarkozy sur les questions économiques et sociales, jugées partiellement délaissées par la majorité présidentielle depuis plus d’un an : débat sur l’identité nationale, discours de Grenoble et tournant sécuritaire, enfin débat sur l’Islam à travers la question de la laïcité. Là réside un des facteurs explicatifs de l’actuelle porosité entre électorats UMP et FN (Pour mémoire, près d’un électeur de Nicolas Sarkozy du 22 avril 2007 sur quatre opteraient pour un vote en faveur de Marine Le Pen).
Paul Guyot (Semiocast) et Frédéric Dabi (Ifop)